vendredi 3 octobre 2014

Rencontre avec Pascal Quignard, Mourir de penser, 25 septembre 2014

Pour ceux qui ont eu le privilège d'assister à la soirée du 25 septembre dernier à L'Arbre à Lettres et rencontrer Pascal Quignard, qui présentait son dernier ouvrage, Mourir de penser, voici un petit film-souvenir, réalisé par notre ami Jérôme Noël. Et pour les autres, faute de pouvoir inverser la flèche du temps, une petite plongée dans ce que fut cette soirée.

jeudi 10 juillet 2014

Yoyo Maeght à L'Arbre à Lettres




Evénement de taille ce soir à L'Arbre à Lettres : Yoyo Maeght revient dans son ancien quartier (le nôtre) pour signer son livre à L'Arbre à Lettres. Nous sommes ravis de retrouver notre ancienne voisine et de fêter ensemble la sortie de ce beau et passionnant ouvrage, dont l'histoire s'inscrit aussi dans le quartier Daguerre : la fameuse imprimerie Arte est toujours là, en fond de cour, tout près...
Le livre est passionnant. Nous découvrons cette famille hors-norme, originale, un peu folle... et follement libre. Trois générations de goût, de flair, d'aventures...
Aimé Maeght est d'abord un ouvrier lithographe qui travaille avec Bonnard et Matisse. Il crée sa galerie en 1945 et exposera les principaux artistes du XXe siècle : Braque, Calder, Miró, Chagall, Giacometti, Chillida, Léger, Tàpies... qui deviennent des amis, au même titre que Prévert, Char, Malraux, Sartre ou Genet...
Sur la photo de couverture, on voit la petite Yoyo en compagnie de Prévert et de Picasso, au Musée Picasso d'Antibes en 1963. 
Yoyo en compagnie de Miró

Venez donc ce soir, malgré la pluie : Bonnard et Miró vous illumineront...
Je pique ce Miró à Yoyo, sur sa page Facebook
Vitrine à L'Arbre à Lettres, réalisation Florence Maeght 


La vitrine, autre angle...






jeudi 26 juin 2014

Jim Fergus sur Chrysis, le film

Vous avez peut-être déjà lu mon petit rapport sur la rencontre à L'Arbre à Lettres, le 12 juin dernier, de Jim Fergus avec ses lecteurs à propos de Chrysis, cette artiste de Montparnasse, affranchie et talentueuse. Jérôme Noël était présent, fidèle, et a filmé pour vous quelques moments de cette très belle soirée.
Pour voir le film de Jérôme Noël sur Jim Fergus à L'Arbre à Lettres
https://www.youtube.com/watch?v=LE0ImymMuK0

samedi 14 juin 2014

Une soirée avec Jim Fergus... et Chrysis

Jeudi 12 juin à 19h.  
Nous avons eu l'honneur de recevoir à L'Arbre à Lettres Boulard l'écrivain américain Jim Fergus. L'auteur a connu, en France comme aux Etats-Unis, un grand succès avec Mille femmes blanches. Quelques autres livres ont suivi, dont La fille sauvage, Espaces sauvages, ou encore Marie Blanche. (Je donne les références en Pocket, mais les formats brochés sont au Cherche-Midi.) L'année dernière, il faisait paraître en France, avant même les Etats-Unis, un beau roman sur une jeune femme et artiste de Montparnasse. Aujourd'hui, elle est un peu oubliée, mais ce livre fait beaucoup pour réhabiliter sa mémoire et son art. 
La couverture du livre avec une photo de Gabrielle, adolescente, sur la plage.

Gabrielle Jungbluth est née le 23 janvier 1907 à Boulogne-sur-Mer. Son père est militaire. Gradé. Il fait la guerre de 14 et lui en raconte parfois quelques souvenirs, dont celui de ce cow-boy messager croisé une fois, vers la fin du conflit. Par la suite, le dimanche, il va peindre sur le motif des paysages tranquilles. Gabrielle l'accompagne et prend goût à la peinture. Elle veut peindre, aller à Paris et s'affranchir.

Son nom d'artiste, Chrysis, elle le choisit dans un roman de Pierre Louÿs alors très à la mode, bien que conféré le plus souvent au second rayon, Aphrodite. C'est dans la bibliothèque de son père, derrière les livres présentables, qu'elle trouve ce livre et, à l'intérieur, le nom de ce personnage. Ce faisant, elle sait que son père, comprenant le secret, ne pourra s'offusquer de son nom d'artiste, sauf à révéler à sa femme qu'il connaît bien ce livre...
La façade extérieure du 14, Boulevard Edgar Quinet

Ses parents acceptent qu'elle parte à Paris, mais en pension. Rapidement, elle prend goût à l'ambiance de Montparnasse, au goût de liberté et d'invention qui flotte dans cet air cosmopolite. Puis eux-mêmes décident de passer une partie de l'année à Paris, et louent un appartement au 14, boulevard Edgar Quinet et, en plus, un atelier détaché de l'appartement, à la même adresse. Chrysis s'inscrit aux Beaux-Arts dans l'atelier d'Humbert, le seul qui donne des cours à des filles et des jeunes femmes dans cette noble institution. Les rapports entre la nouvelle venue et le vieux maître ne sont pas sans conflits, mais teintés de respects, puis d'admiration. Le maître en a vu d'autres, Braque notamment.
L'appartement de la famille Jungbluth dans la cour du 14

Petit à petit, apprenant son artisanat, puis son art, Chrysis s'émancipe des règles. Elle rêve alors d'un art convulsif qui dirait la vérité des corps. Notamment dans l'acte sexuel. Depuis qu'elle a goûté à la volupté charnelle, grâce à un ami poète initiateur, Chrysis comprend que se joue là une partie fondamentale de nos vies. Elle veut peindre sur ce motif et, avec le poète, fréquente une maison close de la rue Blondel où elle peut observer le commerce sexuel et son théâtre. Là, un soir, elle rencontre Pascin. La rencontre, si elle est un peu tendue au départ par l'insolence de la jeune femme, vire vite à la complicité. Il est vrai que le style de dessin de la véritable Chrysis Jungbluth n'est pas toujours sans rappeler le Prince des trois Monts (Parnasse, Martre et Vénus), tant dans les thèmes que dans le dessin.
L'atelier probable de Chrysis, avec Jim Fergus comme hôte, dans l'encadreur de la porte

Dans ce bordel, elle rencontre ce cow-boy souvent aperçu à Montparnasse et dont lui avait parlé son père (elle fera le lien à ce moment). Déjà, il l'intriguait ; ils tombent amoureux. Je ne vous raconte pas la suite, ça vaut la peine d'être lu : tout Montparnasse défile, personnages comme lieux. Juste à vous dire que le tableau central est L'Orgie, reproduit en fin de volume. Tous les personnages qui y figurent prennent une place plus ou moins active, plus ou moins importante dans le roman. Vous comprendrez en le lisant.
Orgie, de Chrysis (1925)

Mais pourquoi tout cela ? Il faut savoir que lors d'un voyage en France, à Nice plus précisément, Jim Fergus et sa femme, alors déjà malade, ont vu ce tableau. Sa femme a immédiatement été séduite par la toile. De retour aux Etats-Unis, Jim Fergus, devant l'intérêt continu de sa femme pour ce tableau, décide de le lui offrir. Celle-ci, ravie, décide qu'il ira à sa fille après sa mort. Pourquoi ? Pour initier sa fille aux partouzes ? Pas du tout. Sa femme a toujours eu honte de son corps et a vu dans ce tableau des femme qui s'exhibaient sans honte, en toute franchise et générosité, prête au plaisir : à donner comme à recevoir. Ce qui énerve et énervera toujours la pudibonderie de tout poil : mieux vaut des morts, de la violence, du sang, du massacre, que des gens qui jouissent loyalement de leur corps et de celui d'autres consentant. 
Jim Fergus devant L'Orgie

Ce qui fut fait après son décès. Jim Fergus a aussi raconté d'autres anecdotes, liées au mémoire soutenue par la fille de sa femme, qui valent leur pesant de toile...
Un atelier du 14 et une sculpture qui serait de Rosso Rossi, qui a travaillé ici

Pour en savoir plus sur la vie de cette femme étonnante, affranchie, libre, courageuse, talentueuse, jetez-vous sur ce livre.
Jim Fergus signant

Je remercie toutes celle et tous ceux qui sont venus à cette soirée ; eux savent qu'à côté du marché, en marge du murmure assourdissant et ankylosant de l'actualisme éphémère, ont lieu des soirées qui, sans être de l'ordre de l'orgie de Chrysis, ont le mérite de faire passer le frémissement des corps libres, de transmettre le verbe qui transforme, la peinture qui n'est pas une image, le vrai goût du passage du Temps.
Public (féminin) captif durant la rencontre
Chacun ou chacune aura pu apprécier la disponibilité, la chaleur et la sympathie de Jim Fergus. A bientôt, donc, Jim, pour de nouvelles rencontres.

mardi 3 juin 2014

Derain, de Bonaparte à Assas avec Léopold Lévy

Continuons avec Derain. Il quitte Montmartre en 1910 pour s’installer rue Bonaparte, au n° 13 (où habitait alors Dunoyer de Segonzac), façon comme une autre de rompre avec l’avant-garde. Ou du moins de prendre ses distances, physiques et esthétiques. Il s’installe donc dans cette maison, juste en face de l’École des Beaux-Arts où il n’est jamais allé et n’a jamais enseigné, malgré l’insistance de l’institution et sa proximité physique : traverser la rue ne semblait un petit pas, mais s’avérait un grand saut pour son idéologie.
Le 13 rue Bonaparte, en face des Beaux-Arts
Le 13 sous un autre angle. Où logeait Derain ? Peut-être tout en haut?

La pendaison de crémaillère fut un grand moment. Fernande Olivier se souvient : « On mangeait beaucoup et bien chez Derain. Nous étions là avec Picasso, Apollinaire, Marie Laurencin, peut-être Max Jacob, mais je ne me souviens pas très bien de lui. » On sait que Fernande Olivier appréciait peu Marie Laurencin ; doit-on la croire lorsqu’elle dit que ce soir-là elle était « grise » (comme au Bateau-Lavoir à la fête en l’honneur du douanier Rousseau), et ne répétait « qu’un seul mot, que Cambronne n’eût pas désavoué » ? Sinon, elle chantait. Il sortirent dans la « silencieuse rue Bonaparte » et y firent « un beau tapage ». Ils traversent alors la Seine. « Je me souviens que Derain, pour démontrer sa force, tordit la rampe du petit escalier du pont des Arts. Nous échouâmes vers trois heures du matin du côté des Halles. Là, tout commença à aller mal. Derain et sa femme se disputèrent. On les laissa seuls et le lendemain ils nous dirent que, conduits par des agents, ils avaient échoué au poste de police de leur quartier : « Outrage aux agents ». » Soirée suivie d’une contravention. Fernande termine par ce joli mot : « Tout cela n’interrompait que peu le travail, qui était plus que jamais la raison de vivre. » Fernande Olivier, Picasso et ses amis (malheureusement indisponible).
J'aime bien ces garages du 13, au clame, atmosphère blanche et verte, très parisienne. 


Sautons un peu dans le temps. Derain s’est lié avec le peintre Léopold Lévy (1882-1966). Celui-ci, né à Paris de père Alsacien qui a choisi la France en 1870, a eu la chance d’avoir Mallarmé comme professeur d’anglais en 1895 au Collège Rollin. Il a vécu un peu à Caen et, à la mort de son père en 1896, il suit sa mère à Lille, pour revenir à Paris l’année suivante à Paris. Il suit différents cours d’art décoratif, puis l’enseignement d’Eugène Grasset, à l’École Guérin rue Vavin. Puis il décide de se consacrer à la peinture. Il est refusé aux Beaux-Arts ? Pas grave, il s’inscrit comme élève libre, ce qui lui donne accès à quelques cours ainsi qu’à la bibliothèque. Il devient l’ami de Linaret,  grand espoir de la peinture en cette fin XIXe (selon Matisse et… Derain !) Avec son ami, il fréquente à partir de 1901 un petit groupe d’artistes et d’écrivains qui se retrouvent au Luxembourg : Matisse, Marquet, Derain, André Salmon, Léon-Paul Fargue.

Léopold Lévy

Le 11 janvier 1908, il se marie avec Marguerite Diebold.
Mobilisé en 14, il part au front. Pour des raisons de santé, on l’envoie à Mâcon où il travaille au cabinet du préfet.
En 1916, il peint Femme assise, un tableau qui fera sensation auprès de Derain, notamment, qui évoquera la singularité de Lévy, évitant l’impressionnisme autant que le cubisme régnant. Il attirera aussi les éloges de Tériade, une dizaine d’années plus tard. Après la guerre, en plus de son ami Derain, il fréquente Friesz et Braque (tiens, trois anciens « fauves », mais aussi Delaunay, Marcoussis, Gromaire ou Segonzac.
Comme tant d’autres, mais un peu plus tardivement peut-être, il découvre la lumière du Midi et celle de l’Italie où il voyage en 1919. Il séjourne à Cassis, La Ciotat, Aix ou Marseille, où naît sa fille Léopolde Lise (de sa maîtresse Amélie Rosine Maquard, qu’il épousera en 1930, après son divorce d’avec Marguerite Diebold). Il aura d’elle un fils, Jean Pierre Camille, en 1933.
Entretemps, André Salmon, toujours sur le coup, écrira une monographie sur le peintre.
En 1936, on lui propose de diriger la section de peinture de l’Académie des Beaux-Arts d’Istanbul. Entre autres amis, Derain lui conseille d’accepter, ce qu’il fait. Avant son départ, il décoré de la Légion d’Honneur. Puis il part, sous-louant son atelier à Derain, à qui il le prêtait souvent. À distance, il envoie deux panneaux à l’Exposition Universelle de 1937, où seront exposés, entre autres, Guernica de Picasso, La Fée électricité de Dufy (que je viens d’aller admirer au Musée d’Arts Modernes de la Ville de Paris : c’est éblouissant de couleurs, de fluorescences, et non dénué d’humour), ou la sculpture de Zadkine que l’on peut voir sur le quai d’Orsay.
Léopold Lévy dans son atelier de la rue d'Assas

La date de son installation rue d’Assas est incertaine. Ce qui est sûr, c’est qu’il y est déjà dans les années trente lorsqu’il le prêtait régulièrement à Derain et lorsqu’il lui a sous-loué pendant son déplacement en Turquie. Derain, dès 1935, s’était installé à Chambourcy, mais ce lieu lui servait maintenant de pied-à-terre et d’atelier parisien. En 1940, Derain et sa famille fuient l’armée allemande, d’abord en Normandie, puis en Charente et en Ariège, rejoignant Braque et sa femme Marcelle. Pendant ce temps, les Allemands pillent sa maison de Chambourcy.
Le 112, rue d'Assas. En haut, l'atelier.


C’est dans cet atelier qu’il travaillera durant une bonne partie de la guerre. Guerre qui ne fut pas sans conséquences pour lui, avec ce funeste voyage en Allemagne en 1941, sur lequel j’essaierai de revenir un de ces jours.
L'atelier, grande verrière plein nord : même lorsqu'il fait gris comme ce jour-ci, la lumière baigne...

dimanche 25 mai 2014

Les Fusains 2 : Zola et Miró

Les flâneries ont ceci de bon qu’elles permettent l’esprit d’escalier, voire même la logique de l’après-coup. Je parlais de la Cité de Fusains, et voilà que je tombe sur deux choses différentes. La première concerne Zola. En citant l’autre jour la phrase de Derain sur Picasso, à savoir qu’on le retrouverait pendu derrière Les Demoiselles d'Avignon, j’ai pensé, comme tout le monde j’imagine, à L’Œuvre de Zola. Bref rappel : il s’agit de ce roman dans lequel le peintre Claude Lantier, incompris de ses contemporains, finira par se pendre devant une gigantesque toile, qui devait être son chef-d’œuvre. 
Notes préparatoires pour L’Œuvre de Zola

Déjà, je n’aime pas trop Zola (je préfère nettement Balzac). Non pas pour les raisons sociales, qui me sont sympathiques, mais pour des raisons stylistiques, entre autres, et une certaine lourdeur. A la lecture de L’Œuvre, j’avais entre autre été dégoûté par sa façon de mettre symboliquement à mort, à distance, son ami d’enfance Cézanne, par le biais de Claude Lantier. Bien sûr, on sait que Lantier n’est pas Cézanne, ni Manet, ni Monet, etc. Lantier est une condensation de diverses figures, et tant mieux Mais plus qu’un règlement ce compte avec Cézanne (qui a accusé réception de l’ouvrage avec beaucoup d’élégance), c’est la mise en œuvre (justement) par Zola de sa propre incapacité à appréhender la nouveauté véritable ; de démêler ce qui, d’une entreprise radicale, est nihiliste ou non, est ou n’est pas un échec. De sa peur devant ce surgissement du nouveau. Phénomène plutôt fréquent, il suffit de regarder un peu l’histoire de l’art et de la littérature.
Ateliers de la Cité des Fusains

Il est  vrai qu’aujourd’hui, la peur de se tromper quant au surgissement d’un nouveau Cézanne, Van Gogh ou Modigliani pousse à accepter plus ou moins n’importe quoi. Pas de tri. Tri qui n’est pas simple, bien sûr : il faut savoir voir, savoir sentir. « Les sensations étant le fond de mon affaire, je crois être impénétrable », disait Cézanne. Impénétré par Zola, en tout cas : il est bien difficile d’entrer par effraction dans un système nerveux, dans une finesse sensorielle, dans ce qui fait la singularité, l’eccéité d’un être. Sa complexion et son principe de délicatesse, aurait dit Sade.
Et pourtant c’est possible. Voyez le magnifique roman d’Enrique Vila-Matas, au titre roussélien d’Impressions de Kassel



Invité à la demande de la commissaire de la documenta 13 (2012), le narrateur doit écrire en public dans un restaurant chinois de la banlieue de Kassel. Perspective peu réjouissante. Heureusement, si l’on veut (presque) personne n’y vient : aussi ce promeneur solitaire peut-il errer à loisir dans la ville, s’y perdre (à deux pas du lieu où les frères Grimm ont écrit… Le Petit Poucet !), tout comme il accepte de se perdre dans l’art contemporain. Pour l’éprouver, le sentir. Sans préjugé, puis en faisant le tri. Il en est bouleversé.
Le regard qui traverse l'atelier... Avec la grenouille-vigie, on a envie d'y rester : rêve, travail, musique

Zola, donc. Ou plutôt Lantier. Nous avons vu la dernière fois que, sur le site de la Cité des Fusains, se trouvait auparavant un lavoir et son séchoir. Ce devrait donc être ici que Claude Lantier s’installe, quittant l’atelier de la rue de Douai pour en investir un autre, plus vaste « C’était un ancien séchoir de teinturier, une baraque de 15 mètres de long sur 10 de large, dont les planches et le plâtre laissaient passer tous les vents du ciel. On lui louait ça 300 francs. » 
Avant la Cité des Fusains

Ici, donc, que Lantier travaille à sa grande peinture et s’y suicide. Ici qu’habitait et travaillait Derain lorsqu’il a eu cette fameuse phrase pour Picasso… Logique des lieux ?

Au Japon? Non, aux Fusains



Un saut dans le temps: je tombe sur un article de Miró qui concerne les Fusains. En 1927, il quitte Montparnasse. Jusqu'en 1926, il vivait dans l’atelier de la rue Blomet en voisin de Masson, recevant la visite de nombreux surréalistes dissidents (Artaud, Desnos, Limbour, Leiris), mais aussi les Stein et Hemingway (qui lui achète La Ferme). (Pub : vous pouvez tout cela développé dans mon Montparnasse, les lieux de légende, chez Parigramme). Dans un article publié dans la revue XXe siècle en 1938, « Je rêve d’un grand atelier », il écrit : « Je louai un atelier au 22 de la rue Tourlaque, villa des Fusains, où ont habité Toulouse-Lautrec et André Derain et où Pierre Bonnard a encore son atelier. À cette époque, il y avait là Paul Eluard, Max Ernst, un marchand belge de la rue de Seine, Goemans, René Magritte, Arp. Je mis sur la porte une pancarte que j’avais trouvée dans une boutique : TRAIN PASSANT SANS ARRET. Ça marchait mieux, mais c’était encore assez dur. Une fois, avec Arp, nous avons déjeuné de radis au beurre. Dès que ce fut possible, je pris un plus grand atelier dans la même villa, au rez-de-chaussée, mais je ne le gardai pas longtemps. » 

Buffle, yack, bison ?


La Cité recèle de petites cachettes. Parfait pour le café, ou l'apéro

lundi 19 mai 2014

Derain et la Cité des Fusains



Curieusement, sur le site de la Cité des Fusains, entre l’ancien passage Tourlaque (aujourd’hui rue Steinlein) et la rue Tourlaque, se trouvaient auparavant des baraques en bois qui servaient à faire sécher le linge d’un… lavoir ! Rien à voir pourtant avec le fameux Bateau-Lavoir, autre cité d’artiste dont je parlerais plus tard, (et qui n’avait de lavoir que le surnom). Sur cet emplacement, certains affirment que Renoir et Lautrec ont travaillé.

À l’instar de la plupart des cités d’artistes à Paris (La Ruche, la Cité Falguière ou le phalanstère du 9 rue Campagne-Première, par exemple), celle des Fusains a été construite avec des matériaux d’une Exposition Universelle, en l’occurrence celle de 1889. Les travaux, sous la direction de l’architecte Robert Bourdeau, commencent dix ans plus tard et une première partie est terminée l’année suivante. À l’époque, on entrait non du côté passage (rue Steinlein), dont l’entrée est aujourd’hui plus discrète. 
Sur la gauche serait l'ancien atelier de Derain

Si j’en crois mes sources, l’atelier d’André Derain se trouvait en entrant à droite. Il s’y installe à l’automne 1906, en pleine période fauve, après un séjour à Londres. Il a déjà rencontré Braque, Picasso et André Salmon. Sa présence sur la Butte lui permet de fréquenter plus facilement ses nouveaux amis du Bateau-Lavoir. Son travail impressionne et, s’il a déjà l’admiration de Matisse et de son ami Vlaminck, il compte maintenant aussi celle d’Apollinaire et des peintres du Bateau-Lavoir. Pierre Cabanne pense, et il a sans doute raison, que l’on a sous-estimé l’importance, qu’a pu avoir Derain pour Picasso. Voire même l’influence. Picasso se nourrissait de tout, savait tout saisir et tout transformer. Une amitié naît entre les deux hommes et, si l’on voit parfois le petit Picasso entouré des colosses que sont Braque, Vlaminck et Derain (inspirant à Gertrude Stein l’image de Napoléon entouré de grenadiers), les deux derniers ne feront pas pour autant partie intégrante de « la bande à Picasso ».
Les Fusains, un havre de paix

Derain fut peut-être l’un des initiateurs, avec Matisse, de Picasso à « l’art nègre », visitant avec lui le Musée du Trocadéro, expérience bouleversante pour l’artiste espagnol, déjà travaillé par l’art primitif ibérique. C’est d’ailleurs plutôt l’art océanien qu’africain qu’affectionnait d’abord le Malaguène. Derain, lui a acheté un masque africain (fang) à son ami Vlaminck et se mit à faire collection. 
Le masque Fang de Derain
Notons que cette histoire d’art nègre (qui à l’époque désigne aussi les arts océaniens) est complexe dans ses origines réelles chez les peintres parisiens (on continue à se crêper le chignon pour savoir qui a découvert l’art nègre le premier, une légende tenace attribuant à Vlaminck d’avoir découvert deux statuettes africaines dans un bistro d’Argenteuil et de les avoir obtenues en échange d’une tournée générale…)
Un atelier, entre perchoir et observatoire

Derain fréquente donc Picasso (ce que son ami Matisse voit d’un mauvais œil), mais en maintenant toutefois ses distances. Devant Les Demoiselles d’Avignon, il aurait confié à Kahnweiler, leur galeriste commun, « qu’on trouverait un jour Picasso pendu derrière son grand tableau tellement cette entreprise paraissait désespérée ». Il trace sa route à lui, avec ses angoisses, ses incertitudes… ses éblouissements : « Le Fauvisme a été pour nous l’épreuve du feu… Les couleurs devenaient des cartouches de dynamite. Elles devaient décharger de la lumière. »
Derain, Le Phare de Collioure (1905)

Il travailla (avec toutefois de nombreux voyages dans le Midi) dans cet atelier jusqu’à la fin août 1910. Pour en savoir davantage sur Derain, je vous conseille la lecture du André Derain de Pierre Cabanne (Folio-essais, malheureusement épuisé) et du magnifique ouvrage de Cécile Debray, Le Fauvisme, chez Citadelles & Mazenod (qui lui, vient de paraître) : une somme, LA référence sur la question, fourmillant d’informations et d’analyses (avec, comme toujours chez cet éditeur, une excellente qualité de reproduction : un véritable enchantement pour les yeux et la pensée !)
 


L’actuelle entré principale s’ouvre au 22, rue Tourlaque. Elle date de 1923, marquant la fin des travaux de la deuxième partie de la Cité. Vous pouvez en apprécier la jolie façade et apercevoir, de loin, des bouts de verrière, des fragments d’ateliers… 

Eh, oui, c’est privé. C’est dans cette deuxième partie que s’installèrent les surréalistes. Jan Arp et Sophie Tauber y furent de 1922 à 1926, Miró en 1927 (deux ateliers successifs), Max Ernst de 1925 à 1935 environ. Masson y a travaillé, sans que l’on sache s’il y a vraiment vécu. Tant d’autres encore… dont certains qui passaient voir les amis, bien sûr, ou qui venaient participier à l’éphémère École de Montmartre, crée en 1929 par l’artiste Georges Joubin, arrivé dans la Cité en 1912 pour y vivre jusqu’à la fin de ses jours, en 1983. Y venaient Leprin, Pascin, Asselin ainsi que Bonnard qui venaient en voisin puisqu’installé aux Fusains depuis 1913. Il conserva son atelier jusqu’à sa mort (1947), même s’il y était moins souvent depuis son installation au Cannet.

mardi 13 mai 2014

Arles, Fondation Van Gogh

De passage à Arles chez nos amis, qui tiennent le restaurant Au Brin de thym, 22 rue du docteur Fanton, où nous avons dégusté un très bon carignan blanc, nous nous sommes régalés avec une côte de taureau.

Le Brin de Thym

Terrasse pleine dès qu'il fait beau, et à l'intérieur, ça ne désemplit pas, surtout depuis que la Fondation Van Gogh a ouvert, le 7 avril dernier, juste un peu plus loin, au bout de la rue.

L'entrée de la Fondation Van Gogh

Van Gogh, c’est un peu un enfant du pays. Il y est resté près de quinze mois (du 20 février 1888 au 8 mai 1889). Il y a connu une période flamboyante, d’intense production picturale (environ 200 toiles, une centaine de dessins ou aquarelles et environ 200 lettres). Je ne m’attarderai pas sur ces œuvres : vous les connaissez bien. Explosion des couleurs, formes spiralées, les étoiles en feu grégeois, les corbeaux en accent circonflexe inversés… Tout comme les épisodes de cohabitation problématiques avec Gauguin, l’oreille coupée, l’internement à l’Hôtel-Dieu, etc.

La verrière vue d'en haut

         Le lieu, fraichement construit, est réussi, aéré, plutôt lumineux. Le hall est spacieux, le petit espace librairie très clair, baigné imprégné de lumière. Tout en haut, la terrasse est agréable et procure un joli panorama sur la ville et, par endroit, le fleuve.

Vue de la terrasse
Autre vue

         L’exposition temporaire « Couleurs du Nord, couleurs du Sud » comprend un Courbet, un Corot 

Corot

une dizaine de Van Gogh, de qualités diverses, mais il y a parmi eux La Maison jaune (que j’aime beaucoup) 

Van Gogh, La Maison jaune




et un Autoportrait avec canotier et pipe.
Van Gogh, Autoportrait au canotier et à la pipe

L'ensemble est agréable sans être bouleversant. Quelques belles toiles, dans un lieu agréable.


         La suite est une série d’hommages au Maître sans grand intérêt, comme l’installation de Thomas Hirschhorn, qui se projette dans l’univers d’une jeune japonaise obsédée par Van Gogh. Inintéressant en ce qui me concerne. Et la suite à l’avenant.


         Mais le lieu veut la peine d’être vu, et gageons qu’il y aura mieux plus tard.
         Et, en sortant, si vous voulez suivre le parcours fléché Van Gogh, vous le pouvez. Aller voir par exemple l'ancien emplacement de la Maison jaune, place Lamartine
La terrasse du café marque l'emplacement de la Maison jaune, détruite. Celle que l'on voit semble avoir peu changé par rapport au tableau
      Et, toute façon, vous pouvez toujours aller prendre un verre au Café de la nuit, ça vous rappellera un autre café célèbre...
Le Café de la nuit

jeudi 8 mai 2014

Le Bateau-Lavoir sur la planète Mars...eille

Il est vrai que ça tombe sous le sens, mais c'est tout de même une bonne idée. Le Musée Regards de Provence de Marseille propose en ce moment une exposition "Autour du Bateau-Lavoir. Des artistes à Montmartre et la Méditerranée". Nord-Sud, comme la fameuse ligne de métro (l'actuelle n°12) qui permit les échanges fréquents entre les artistes des deux Monts ; Nord-Sud comme Matisse fut, selon ses propres dires, le Pôle Nord et Picasso le Pôle Sud ; Nord-Sud comme les allées et venues non plus entres le Mont des Martyrs et celui du Parnasse, mais entre l'île de France et la Méditerranée.
Le catalogue de l'exposition

Certains nordistes tels Derain, Braque, Matisse, Van Dongen ou encore Gen Paul firent le voyage vers l'éblouissement lumineux du Midi. D'autres, comme Pierre Girieud (marseillais), Leprin (né à Cannes, enfance marseillaise), Camoin (marseillais), montèrent à la capitale et sur la Butte ; d'autres encore, comme les Espagnols Picasso, Manolo, Gris ou le Grec Galanis, méditerranéens de naissance,   fixés à Paris, venaient facilement se régénérer à la  lumière méridionale.


Il fallait donc que j'aille voir cette exposition. Mon éditeur me donnant un coup de pouce, je fonçai d'abord vers Arles (j'y reviendrai) puis sur Marseille.
Arrivé par l'autoroute A55 menant directement au Vieux-Port, sortant du parking, sur l'esplanade, choc lumineux et esthétique en voyant cohabiter avec autant de bonheur les trois nouveaux musées (MUCEM, Regards de Provence, Villa Méditerranée) entre la structure bicolore, romano-byzantine de la Major et la pierre dorée du Fort Saint-Jean.  
La Major, cathédrale romano-byzantine

Au premier plan, la Villa Méditerranée, au fond, le MUCEM

La passerelle menant du Fort Saint-jean au MUCEM

L'exposition n'est pas exceptionnelle en ce sens que n'y figure pas de chefs-d'œuvre. Mais elle vaut tout de même un peu d'attention parce qu'elle réunit un certain nombre d'artistes que l'on voit peu : Casamegas, par exemple, l'ami de Picasso qui s'est suicidé par amour à Montmartre, Gargallo, Galanis, Ramon Pichot (qui illustre la couverture du catalogue), un dessin du chroniqueur André Salmon, Paco Durio et quelques autres.
Une série de dessins de Braque

Une série de dessins cubistes de Braque, quelques dessins de Picasso, deux très beaux Vlaminck, des dessins de Derain, l'un de sa période fauve, à Collioure, en 1905, alors qu'il est parti peindre sur le motif avec Matisse, avant la fameuse "Cage aux fauves" du Salon des Indépendants. Les autres sont de 1930.
Derain, Barque à Collioure, 1905
Un dessin et deux toiles de Van Dongen, une jolie maison (celle de Mimi Pinson) et une scène de café, colorée, vive, qui évoque quelque peu, avec haie de hauts-de-forme, un certain tableau de Manet, dans le hall de l'Opéra... 
Van Dongen, Le Café, 1903
Van Dongen n'est pas encore fauve. Vlaminck l'est-il encore, lui, avec ces deux beaux tableaux que sont Bougival et Le Lavoir sous la neige ?

Vlaminck, Bougival (1911)
Camoin, Personnages sur le pont de Martigues (1904)
Le catalogue, qui ne se trouve que sur place, est plutôt bien fait, bien structuré, avec un plan de Montmartre et les adresses des principaux ateliers. Deux ou trois petits détails à revoir pour ceux qui, comme moi, aiment pinailler un peu (citations approximatives, flou dans les notes). Sans être une exposition formidable, elle est tout de même agréable et a le mérite de donner à voir quelques artistes peu connus ou peu montrés.

Gen Paul, Montmartre, la rue Norvins (1924)
Si vous êtes à Marseille ou dans la région, faites un tour...