dimanche 9 mars 2014

Alba, conférence



La rencontre avec Philippe Roux ne devait pas se révéler éphémère. Grâce à deux associations, Alba Nera et les Enfants & Amis d’Alba, au Conseil Général et le tout nouveau musée d’Alba (le MuseAl) j’étais invité à donner une conférence, le 22 février dernier, sur le Montparnasse de l’âge d’or, c’est-à-dire la préhistoire de la modernité d’Alba… Curieuse formulation, j’en conviens, à quelques kilomètres de la grotte Chauvet et au cœur d’un site romain… Mais c’est ainsi.
Le long de la voie romaine, les vestiges de boutiques...

Alba Helviorum, de son ancien nom, fut fondée sous l’Empire romain. Les Helviens étaient une tribu gauloise. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, Alba ne serait pas en l’occurrence d’origine latine (« blanc »), mais pré-celtique ou celtique, désignant plutôt un lieu sur une montagne ou au pied d’une montagne, ou encore, dans la spiritualité et la mythologie, le « monde lumineux » ou « d’en haut ». La ville fut l’évêché de la région aux IVe et Ve siècles, avec que le siège n’aille à Viviers (qui donne son nom au Vivarais) et que la ville ne soit détruite au Ve siècle.
Le MuséAl

Le MuséAl vient d’ouvrir ses portes, en octobre dernier, dirigé par une jeune femme très dynamique, Aude Poinsot (qui avait auparavant travaillé aux fouilles sur le site antique d’Alba). Des chapiteaux, des linteaux, des vases, des aiguières, de superbes mosaïques, dont celle, magnifique, des poissons de l’Escoutay, motif qui se trouve repris des siècles plus tard par Hayter…

Cette conférence sur les Montparnos d’avant Alba se trouvait être la première du MuséAl. Beaucoup d’honneur… et de monde ! On m’a dit cent cinquante personnes (selon les organisateurs, mais la police n’était pas là !). Elle avait lieu dans la salle d’expositions temporaires où se tenait, justement, une expo sur les peintres d’Alba des années cinquante.
Pour la première, salle comble au MuséAl

Outre Olivier Pévérelli, conseiller général, Aude Poinsot, la directrice du Musée, Marie-Odile pour les Enfants et Amis d’Alba, Philippe Roux pour Alva Nera, intervenait aussi Max Hayter, petit-fils de Stanley William Hayter. Puis votre serviteur, avec un montage photo montrant l’ambiance du Montparnasse des petits cafés qui devinrent grands (La Rotonde, Le Dôme) grandes brasseries (La Closerie, La Coupole), de certaines Académies (surtout la Grande Chaumière, puisque nombre d’artistes d’Alba y étudièrent, et qu’elle donna son nom au restaurant albain la Petite Chaumière), 

l’Académie Ranson (Jean Le Moal y étudia) celle d’André Lhote rue d’Odessa, celle de Fernand Léger (fréquentée par Théodore Appleby et Hope Manchester), ou l’enseignement de Zadkine, à la Grande Chaumière ou dans son atelier de la rue d’Assas. Marita Poest Clement, Honorio Condoy, Juana Muller, Gabriel Kohn, notamment, étudièrent avec lui. Le but étant à la fois de faire connaître le Montparnasse des grandes années, mais aussi en tissant les liens nombreux qui unirent ces artistes. Après la conférence, l’assistance pouvait, j’espère, plus facilement saisir le lien entre les artistes albains et leurs amis Montparnos, leurs lieux de prédilection, tant pour leur travail que pour leur sens de la fête.
Le pot de l'amitié vu du côté des travailleurs

Deux notions qui, visiblement, sont bien demeurées à Alba. Philippe Roux m’avait prévenu : la conférence n’était pas le tout de ma visite albaine : dîner, déjeuner, promenade étaient prévus pour continuer ailleurs, autrement, la discussion entamée par l’intervention au MuséAl. L’accueil que nous ont réservé les Albains a été merveilleux : chaleureux, sympathique, attentif, joyeux, généreux. Du pur bonheur. 
Dîner chez Philippe Roux (au premier plan à droite) avec ses amis, dont Max Hayter (en vert)










jeudi 6 mars 2014

Alba avant Alba



Montparnasse, les lieux de légende comblait donc un vide éditorial. À tel point qu’il fut couronné par le « Prix de la Tour Montparnasse 2013 Prix de la vie artistique parisienne », remis des mains de Bernard Pivot, au sommet de « la tour la plus littéraire du monde », dixit ce dernier, en ouverture du Salon du Livre sur Paris. Émotion bien sûr de votre flâneur, comblé par un jury de qualité… (Jugez-en vous même)
De là-haut, la vue est splendide : on prend de la hauteur et, sans se prendre pour Rastignac, on a cette curieuse impression de dominer Paris. Illusion pure, mais qui crée son vertige lorsque l’on découvre la structure étoilée du Paris moderne, son art de la diagonale que l’on ne trouve en nulle autre ville.
Du haut de la Tour : on voit La Rotonde (en rouge), la Place Pablo-Picasso, le toit du Dôme, la rue Delambre...

Douce rançon de ce petit succès : des promenades commentées, une conférence donnée devant les grands hommes et femmes d’affaires du quartier Montparnasse, question de leur transmettre l’expérience de Montparnasse que, trop souvent, ils méconnaissent.  Tout comme, d’ailleurs, la plupart des échelons de personnel travaillant dans le quartier, à la Tour comme ailleurs : gardiens, portiers, hôtes et hôtesses d’accueil, commerçants, tant d’autres qui croient que Montparnasse n’est que le nom d’un boulevard ou d’une tour, faute qu’on leur en ai dit autre chose. Ignorant la formidable histoire du quartier. Certes, on peut vivre sans. Mais  vivre avec cette histoire, avec cette expérience particulière mêlant bohème, cosmopolitisme, désinvolture sur la spéculation, partage de pratique, générosité, travail exigeant et sens de la fête, de la grande fête qui creuse le temps et les nuits. Et le lendemain, au travail. Comme Giacometti, comme Modigliani, comme Soutine, comme Pascin.
A la fin de cette conférence, donc, un monsieur, costaud et volubile, est venu me demander si, en dehors de l a Grande Chaumière (la fameuse Académie où tant de peintres et sculpteurs sont venus étudier le nu sur le vif) je connaissais la Petite Chaumière. Non. Où ? Alba. Alba-la-Romaine, en Ardèche.
Je faisais la connaissance de Philippe Roux qui allait m’ouvrir tout un pan de l’histoire de Montparnasse, dans son exil d’exilés, dans son excroissance inséminatrice. Il allait m’apprendre qu’à l’appel d’André Lhote, dans un article de 1948 dans le journal Combat, bon nombre d’artistes de l’École de Paris, et surtout de Montparnasse, allaient s’installer en Ardèche, acheter les maisons qui tombaient en ruine et ainsi sauver le village. Parmi eux, le graveur et peintre Stanley William Hayter, sa femme sculpteur Helen Philips, le peintre Jean Le Moal et de nombreux autres. 
Stanley Hayter

Je découvrais grâce à lui un autre pan de l’histoire de mon quartier, hors-les-murs. Philippe émit l’idée que quelque lien pouvait être fait, sur place, entre mon travail, celui des associations locales (Alba Nera et Enfants Amis d’Alba) et ces artistes. Si j’avais envie…
J’avais envie.
(À suivre)

dimanche 2 mars 2014

Incipit Montparnasse, les lieux de légende

Il fallait un élément déclencheur. Amoureux de la ville de Paris depuis toujours, je faisais mienne cette phrase de Montaigne "Paris a mon cœur dès mon enfance. Je ne suis français que par cette grande cité, grande surtout et incomparable en variété, la gloire et la puissance de la France, et l'un des plus nobles ornements du monde", lue sur le piédestal de Montaigne dans un livre sur Paris qu'avait mon frère, illustré de superbes photos en noir et blanc. Je grandissais au loin, au Canada, à Ottawa précisément, et Paris me faisait rêver, m'arrachait au quotidien morne de la capitale canadienne, m'arrachait aux quolibets et au rejet de mes camarades canadiens (qui sont aussi racistes et xénophobes que les enfants des autres pays), m'exilait de mon exil. C'était mon Ithaque, Ulysse sans Calypso...
Feuilletant inlassablement ce livre, je ne rêvais donc que de pouvoir m'installer dans cette ville où tout semblait virer à l'enchantement : les berges de la Seine où une jeune femme lisait un livre de poésie, ce petit vieux qui tenait son chat en laisse avec une ficelle, ce bar, Le Monaco, que j'ai pu identifier lors d'un de mes voyages à Paris adolescent et aujourd'hui disparu (il était à Odéon).
Aujourd'hui, je suis toujours fasciné par la Ville Lumière et par les livres sur elle. L'émotion en feuilletant tel livre de Brassaï, le magicien qui savait enchanter aussi bien les métiers de la nuit, les apaches, les amants furtifs, que les pavés de la la Place Denfert-Rochereau ou la terrasse du Dôme en surplomb.
En arrivant finalement à Paris pour y vivre, j'ai passé un an et demi près de la Place de la Nation, plus précisément dans la rue du Rendez-Vous, près de Picpus. Picpus où Sade et Laclos ont été pensionnaires en même temps (se haïssant cordialement) attendant la guillotine ou la liberté. La guillotine qui fut érigée sur la Place dite alors du Trône Renversé, fit tellement de victimes que l'on dit que l'on dut la déplacer, la terre n'arrivant plus à éponger le sang... Le dimanche, j'allais souvent au Bois de Vincennes, sur les traces du Marquis de Sade, de Diderot, de Mirabeau qui furent enfermés dans le donjon qui s'y dresse toujours. Emotion lors de la visite des cellules... Je rédigeais alors un mémoire de DEA sur Laclos et Casanova, je baignais en plein siècle des Lumières... La semaine, sortant de Jussieu (Université... Denis-Diderot !), je filais Passage de l'Odéon, voir les vestiges de l'imprimerie de Marat, rôder autour du Procope...
Au printemps 1991, je me suis installé dans le XIVe, rue Bénard, quartier Plaisance, métro Pernéty. Je ne savais pas encore que j'allais y vivre plus de dix-huit ans. Aussitôt, je me mis en quête d'ouvrages sur le quartier. Je ne trouvai pas grand-chose de probant. Un livre chez Hervas, où l'on parlait comme d'habitude des catacombes, du lion de Denfert, du Parc Montsouris... Ailleurs, je trouvais quelques passages sur des écrivains dans Les Hauts lieux de la littérature à Paris de Jean-Paul Clébert (dont j'avais adoré le Paris insolite, alors en « Folio »). Mais rien qui fasse la synthèse.
Les années passent, je voyage un peu : à Florence, Rome, Venise ou La Valette, je m'ingénie toujours pour tenter de savoir où vivaient mes écrivains et artistes préférés. Je me souviens avoir préparé une liste d'adresses romaines de Carlo-Emilio Gadda (dont L'Affreux Pastis de la rue des Merles m'avait enchanté, et m'enchante toujours), glanées dans sa correspondance disponible en français, et d'avoir rôdé sous les fenêtres de diverses maisons. Avec, en prime, l'indispensable photo devant le "Palais des Ors", au 219 de la Via Merulana, épicentre de ce baroque roman...
Au 219 de la Via Merulana, Rome

Un jour, j'ai eu, grâce à Dominique Bourgois, la chance de déjeuner avec l'écrivain Enrique Vila-Matas. J'étais ravi ; je considère Vila-Matas comme l'un des meilleurs écrivains d'aujourd'hui (et parmi les plus drôles !). A un moment, parlant de son excellent Paris ne finit jamais, où il évoque notamment la figure légendaire d'Hemingway, il me demande où se trouvait le Dingo Bar. Le Dingo American Bar est le bistro où se sont rencontrés Hemingway et Fitzgerald au printemps 1925. Rencontre littéraire importante, début d'une amitié non dénuée d'ambiguïté et de rivalité, dont Hemingway raconte sa version dans Paris est une fête. J'étais incapable de lui répondre. A Montparnasse, mais où ? A peine rentré, je commençai mon enquête. 10 rue Delambre, en plein cœur du quartier. 

Le Dingo Bar, page extraite de Montparnasse, les lieux de légende

S'il était un peu tard pour répondre à Vila-Matas, au moins ne l'était-il pas trop pour combler cette lacune, le vide éditorial sur Montparnasse. Certes, il y avait eu pléthore d'ouvrages sur Modigliani, Picasso, Man Ray... Une histoire de La Coupole. Un très beau livre illustré de Klüver sur le Montparnasse de Kiki, des Américains et des Scandinaves, notamment. Epuisé. Une histoire de l'âge d'or de Montparnasse par Crespelle, des mémoires de Kiki, d'André Salmon, de John Glassco... Certains épuisés. Les autres ne racontant qu'une partie de l'histoire, ou la vie d'un artiste. Rien de disponible qui fasse la synthèse de ce formidable tropisme qui a fait de Montparnasse le seul quartier dans l'histoire occidentale a avoir été, pendant au moins trois décennies, ni plus ni moins que le Centre du Monde...
Prétentieux ? Arrogant ? Même pas. Vérité énoncée dans sa simplicité même. Du fin fond de la Russie, de Bulgarie, de Roumanie, d'Allemagne, d'Amérique, d'Espagne, d'Italie ou du Japon, entre autres, affluent dès le début du XXe siècle, les peintres, sculpteurs et écrivains vers La Closerie des Lilas et Le Dôme. 
J'habite depuis 2009 dans une petite impasse donnant rue de la Gaîté. Au cœur des choses, en quelque sorte. Je me promène beaucoup et constate que Montparnasse, quartier mythique, indique peu ses lieux de légende. Si les grandes brasseries ont pignon sur le boulevard, si quelques rares anciens ateliers sont connus, si la Ruche demeure inaccessible (artistes au travail !) et que le Musée du Montparnasse (provisoirement fermé) se découvre dans une jolie impasse pavée et fleurie, 
Entrée du Musée du Montparnasse, impasse du Maine. (©Olivier Renault)

tant d'autres sont soit inaccessibles, soit inconnus. On passe souvent sans le savoir devant une maison où a vécu Matisse, un atelier où a travaillé Man Ray ou Picasso, un restaurant aimé d'Apollinaire... 
L'idée m'est alors venue d'écrire un livre qui relaterait cette histoire, non comme une histoire linéaire, mais à partir des lieux pour mieux parler des gens, des œuvres, des mouvements. Des écrivains, des artistes, mais aussi ces personnages de l'ombre que sont certaines concierges, certains flics, certains limonadiers qui ont permis aux artistes de vivre et de s'épanouir, à ce quartier de devenir ce qu'il fut, le Centre du Monde.
François Besse, le directeur des éditions Parigramme, a immédiatement, et avec enthousiasme, approuvé le projet. Le livre Montparnasse, les lieux de légende est sorti il y aura bientôt un an. Depuis, son succès ne se dément pas, prouvant tout simplement qu'il vient combler un certain vide éditorial. Je reçois du courrier, des gens m'appellent chez moi, d'autres viennent me voir à la librairie, d'autres encore me posent des questions lors de promenades ou conférences organisées pour découvrir la dimension historico-culturelle du quartier, ou viennent me confier diverses anecdotes.
C'est pour partager cela et continuer l'aventure que j'ai finalement décidé de tenir ce blog, sorte de carnet de travail sur mes recherches sur Montparnasse, Montmartre, l'école de Paris et quelques autres sujets. Avec quelques jolis projets en cours... mais ce sera pour une autre fois !

Note : dans mes liens, je renvoie à la librairie L'Arbre à Lettres, où je travaille. Vous pouvez aussi vous diriger sur le site Paris Librairie, ou sur tout autre site, en évitant le site d'un grand fournisseur en ligne (dont je tairai le nom), pour des raisons que tous ceux qui aiment la librairie indépendante comprendront aisément.