dimanche 25 mai 2014

Les Fusains 2 : Zola et Miró

Les flâneries ont ceci de bon qu’elles permettent l’esprit d’escalier, voire même la logique de l’après-coup. Je parlais de la Cité de Fusains, et voilà que je tombe sur deux choses différentes. La première concerne Zola. En citant l’autre jour la phrase de Derain sur Picasso, à savoir qu’on le retrouverait pendu derrière Les Demoiselles d'Avignon, j’ai pensé, comme tout le monde j’imagine, à L’Œuvre de Zola. Bref rappel : il s’agit de ce roman dans lequel le peintre Claude Lantier, incompris de ses contemporains, finira par se pendre devant une gigantesque toile, qui devait être son chef-d’œuvre. 
Notes préparatoires pour L’Œuvre de Zola

Déjà, je n’aime pas trop Zola (je préfère nettement Balzac). Non pas pour les raisons sociales, qui me sont sympathiques, mais pour des raisons stylistiques, entre autres, et une certaine lourdeur. A la lecture de L’Œuvre, j’avais entre autre été dégoûté par sa façon de mettre symboliquement à mort, à distance, son ami d’enfance Cézanne, par le biais de Claude Lantier. Bien sûr, on sait que Lantier n’est pas Cézanne, ni Manet, ni Monet, etc. Lantier est une condensation de diverses figures, et tant mieux Mais plus qu’un règlement ce compte avec Cézanne (qui a accusé réception de l’ouvrage avec beaucoup d’élégance), c’est la mise en œuvre (justement) par Zola de sa propre incapacité à appréhender la nouveauté véritable ; de démêler ce qui, d’une entreprise radicale, est nihiliste ou non, est ou n’est pas un échec. De sa peur devant ce surgissement du nouveau. Phénomène plutôt fréquent, il suffit de regarder un peu l’histoire de l’art et de la littérature.
Ateliers de la Cité des Fusains

Il est  vrai qu’aujourd’hui, la peur de se tromper quant au surgissement d’un nouveau Cézanne, Van Gogh ou Modigliani pousse à accepter plus ou moins n’importe quoi. Pas de tri. Tri qui n’est pas simple, bien sûr : il faut savoir voir, savoir sentir. « Les sensations étant le fond de mon affaire, je crois être impénétrable », disait Cézanne. Impénétré par Zola, en tout cas : il est bien difficile d’entrer par effraction dans un système nerveux, dans une finesse sensorielle, dans ce qui fait la singularité, l’eccéité d’un être. Sa complexion et son principe de délicatesse, aurait dit Sade.
Et pourtant c’est possible. Voyez le magnifique roman d’Enrique Vila-Matas, au titre roussélien d’Impressions de Kassel



Invité à la demande de la commissaire de la documenta 13 (2012), le narrateur doit écrire en public dans un restaurant chinois de la banlieue de Kassel. Perspective peu réjouissante. Heureusement, si l’on veut (presque) personne n’y vient : aussi ce promeneur solitaire peut-il errer à loisir dans la ville, s’y perdre (à deux pas du lieu où les frères Grimm ont écrit… Le Petit Poucet !), tout comme il accepte de se perdre dans l’art contemporain. Pour l’éprouver, le sentir. Sans préjugé, puis en faisant le tri. Il en est bouleversé.
Le regard qui traverse l'atelier... Avec la grenouille-vigie, on a envie d'y rester : rêve, travail, musique

Zola, donc. Ou plutôt Lantier. Nous avons vu la dernière fois que, sur le site de la Cité des Fusains, se trouvait auparavant un lavoir et son séchoir. Ce devrait donc être ici que Claude Lantier s’installe, quittant l’atelier de la rue de Douai pour en investir un autre, plus vaste « C’était un ancien séchoir de teinturier, une baraque de 15 mètres de long sur 10 de large, dont les planches et le plâtre laissaient passer tous les vents du ciel. On lui louait ça 300 francs. » 
Avant la Cité des Fusains

Ici, donc, que Lantier travaille à sa grande peinture et s’y suicide. Ici qu’habitait et travaillait Derain lorsqu’il a eu cette fameuse phrase pour Picasso… Logique des lieux ?

Au Japon? Non, aux Fusains



Un saut dans le temps: je tombe sur un article de Miró qui concerne les Fusains. En 1927, il quitte Montparnasse. Jusqu'en 1926, il vivait dans l’atelier de la rue Blomet en voisin de Masson, recevant la visite de nombreux surréalistes dissidents (Artaud, Desnos, Limbour, Leiris), mais aussi les Stein et Hemingway (qui lui achète La Ferme). (Pub : vous pouvez tout cela développé dans mon Montparnasse, les lieux de légende, chez Parigramme). Dans un article publié dans la revue XXe siècle en 1938, « Je rêve d’un grand atelier », il écrit : « Je louai un atelier au 22 de la rue Tourlaque, villa des Fusains, où ont habité Toulouse-Lautrec et André Derain et où Pierre Bonnard a encore son atelier. À cette époque, il y avait là Paul Eluard, Max Ernst, un marchand belge de la rue de Seine, Goemans, René Magritte, Arp. Je mis sur la porte une pancarte que j’avais trouvée dans une boutique : TRAIN PASSANT SANS ARRET. Ça marchait mieux, mais c’était encore assez dur. Une fois, avec Arp, nous avons déjeuné de radis au beurre. Dès que ce fut possible, je pris un plus grand atelier dans la même villa, au rez-de-chaussée, mais je ne le gardai pas longtemps. » 

Buffle, yack, bison ?


La Cité recèle de petites cachettes. Parfait pour le café, ou l'apéro

lundi 19 mai 2014

Derain et la Cité des Fusains



Curieusement, sur le site de la Cité des Fusains, entre l’ancien passage Tourlaque (aujourd’hui rue Steinlein) et la rue Tourlaque, se trouvaient auparavant des baraques en bois qui servaient à faire sécher le linge d’un… lavoir ! Rien à voir pourtant avec le fameux Bateau-Lavoir, autre cité d’artiste dont je parlerais plus tard, (et qui n’avait de lavoir que le surnom). Sur cet emplacement, certains affirment que Renoir et Lautrec ont travaillé.

À l’instar de la plupart des cités d’artistes à Paris (La Ruche, la Cité Falguière ou le phalanstère du 9 rue Campagne-Première, par exemple), celle des Fusains a été construite avec des matériaux d’une Exposition Universelle, en l’occurrence celle de 1889. Les travaux, sous la direction de l’architecte Robert Bourdeau, commencent dix ans plus tard et une première partie est terminée l’année suivante. À l’époque, on entrait non du côté passage (rue Steinlein), dont l’entrée est aujourd’hui plus discrète. 
Sur la gauche serait l'ancien atelier de Derain

Si j’en crois mes sources, l’atelier d’André Derain se trouvait en entrant à droite. Il s’y installe à l’automne 1906, en pleine période fauve, après un séjour à Londres. Il a déjà rencontré Braque, Picasso et André Salmon. Sa présence sur la Butte lui permet de fréquenter plus facilement ses nouveaux amis du Bateau-Lavoir. Son travail impressionne et, s’il a déjà l’admiration de Matisse et de son ami Vlaminck, il compte maintenant aussi celle d’Apollinaire et des peintres du Bateau-Lavoir. Pierre Cabanne pense, et il a sans doute raison, que l’on a sous-estimé l’importance, qu’a pu avoir Derain pour Picasso. Voire même l’influence. Picasso se nourrissait de tout, savait tout saisir et tout transformer. Une amitié naît entre les deux hommes et, si l’on voit parfois le petit Picasso entouré des colosses que sont Braque, Vlaminck et Derain (inspirant à Gertrude Stein l’image de Napoléon entouré de grenadiers), les deux derniers ne feront pas pour autant partie intégrante de « la bande à Picasso ».
Les Fusains, un havre de paix

Derain fut peut-être l’un des initiateurs, avec Matisse, de Picasso à « l’art nègre », visitant avec lui le Musée du Trocadéro, expérience bouleversante pour l’artiste espagnol, déjà travaillé par l’art primitif ibérique. C’est d’ailleurs plutôt l’art océanien qu’africain qu’affectionnait d’abord le Malaguène. Derain, lui a acheté un masque africain (fang) à son ami Vlaminck et se mit à faire collection. 
Le masque Fang de Derain
Notons que cette histoire d’art nègre (qui à l’époque désigne aussi les arts océaniens) est complexe dans ses origines réelles chez les peintres parisiens (on continue à se crêper le chignon pour savoir qui a découvert l’art nègre le premier, une légende tenace attribuant à Vlaminck d’avoir découvert deux statuettes africaines dans un bistro d’Argenteuil et de les avoir obtenues en échange d’une tournée générale…)
Un atelier, entre perchoir et observatoire

Derain fréquente donc Picasso (ce que son ami Matisse voit d’un mauvais œil), mais en maintenant toutefois ses distances. Devant Les Demoiselles d’Avignon, il aurait confié à Kahnweiler, leur galeriste commun, « qu’on trouverait un jour Picasso pendu derrière son grand tableau tellement cette entreprise paraissait désespérée ». Il trace sa route à lui, avec ses angoisses, ses incertitudes… ses éblouissements : « Le Fauvisme a été pour nous l’épreuve du feu… Les couleurs devenaient des cartouches de dynamite. Elles devaient décharger de la lumière. »
Derain, Le Phare de Collioure (1905)

Il travailla (avec toutefois de nombreux voyages dans le Midi) dans cet atelier jusqu’à la fin août 1910. Pour en savoir davantage sur Derain, je vous conseille la lecture du André Derain de Pierre Cabanne (Folio-essais, malheureusement épuisé) et du magnifique ouvrage de Cécile Debray, Le Fauvisme, chez Citadelles & Mazenod (qui lui, vient de paraître) : une somme, LA référence sur la question, fourmillant d’informations et d’analyses (avec, comme toujours chez cet éditeur, une excellente qualité de reproduction : un véritable enchantement pour les yeux et la pensée !)
 


L’actuelle entré principale s’ouvre au 22, rue Tourlaque. Elle date de 1923, marquant la fin des travaux de la deuxième partie de la Cité. Vous pouvez en apprécier la jolie façade et apercevoir, de loin, des bouts de verrière, des fragments d’ateliers… 

Eh, oui, c’est privé. C’est dans cette deuxième partie que s’installèrent les surréalistes. Jan Arp et Sophie Tauber y furent de 1922 à 1926, Miró en 1927 (deux ateliers successifs), Max Ernst de 1925 à 1935 environ. Masson y a travaillé, sans que l’on sache s’il y a vraiment vécu. Tant d’autres encore… dont certains qui passaient voir les amis, bien sûr, ou qui venaient participier à l’éphémère École de Montmartre, crée en 1929 par l’artiste Georges Joubin, arrivé dans la Cité en 1912 pour y vivre jusqu’à la fin de ses jours, en 1983. Y venaient Leprin, Pascin, Asselin ainsi que Bonnard qui venaient en voisin puisqu’installé aux Fusains depuis 1913. Il conserva son atelier jusqu’à sa mort (1947), même s’il y était moins souvent depuis son installation au Cannet.

mardi 13 mai 2014

Arles, Fondation Van Gogh

De passage à Arles chez nos amis, qui tiennent le restaurant Au Brin de thym, 22 rue du docteur Fanton, où nous avons dégusté un très bon carignan blanc, nous nous sommes régalés avec une côte de taureau.

Le Brin de Thym

Terrasse pleine dès qu'il fait beau, et à l'intérieur, ça ne désemplit pas, surtout depuis que la Fondation Van Gogh a ouvert, le 7 avril dernier, juste un peu plus loin, au bout de la rue.

L'entrée de la Fondation Van Gogh

Van Gogh, c’est un peu un enfant du pays. Il y est resté près de quinze mois (du 20 février 1888 au 8 mai 1889). Il y a connu une période flamboyante, d’intense production picturale (environ 200 toiles, une centaine de dessins ou aquarelles et environ 200 lettres). Je ne m’attarderai pas sur ces œuvres : vous les connaissez bien. Explosion des couleurs, formes spiralées, les étoiles en feu grégeois, les corbeaux en accent circonflexe inversés… Tout comme les épisodes de cohabitation problématiques avec Gauguin, l’oreille coupée, l’internement à l’Hôtel-Dieu, etc.

La verrière vue d'en haut

         Le lieu, fraichement construit, est réussi, aéré, plutôt lumineux. Le hall est spacieux, le petit espace librairie très clair, baigné imprégné de lumière. Tout en haut, la terrasse est agréable et procure un joli panorama sur la ville et, par endroit, le fleuve.

Vue de la terrasse
Autre vue

         L’exposition temporaire « Couleurs du Nord, couleurs du Sud » comprend un Courbet, un Corot 

Corot

une dizaine de Van Gogh, de qualités diverses, mais il y a parmi eux La Maison jaune (que j’aime beaucoup) 

Van Gogh, La Maison jaune




et un Autoportrait avec canotier et pipe.
Van Gogh, Autoportrait au canotier et à la pipe

L'ensemble est agréable sans être bouleversant. Quelques belles toiles, dans un lieu agréable.


         La suite est une série d’hommages au Maître sans grand intérêt, comme l’installation de Thomas Hirschhorn, qui se projette dans l’univers d’une jeune japonaise obsédée par Van Gogh. Inintéressant en ce qui me concerne. Et la suite à l’avenant.


         Mais le lieu veut la peine d’être vu, et gageons qu’il y aura mieux plus tard.
         Et, en sortant, si vous voulez suivre le parcours fléché Van Gogh, vous le pouvez. Aller voir par exemple l'ancien emplacement de la Maison jaune, place Lamartine
La terrasse du café marque l'emplacement de la Maison jaune, détruite. Celle que l'on voit semble avoir peu changé par rapport au tableau
      Et, toute façon, vous pouvez toujours aller prendre un verre au Café de la nuit, ça vous rappellera un autre café célèbre...
Le Café de la nuit

jeudi 8 mai 2014

Le Bateau-Lavoir sur la planète Mars...eille

Il est vrai que ça tombe sous le sens, mais c'est tout de même une bonne idée. Le Musée Regards de Provence de Marseille propose en ce moment une exposition "Autour du Bateau-Lavoir. Des artistes à Montmartre et la Méditerranée". Nord-Sud, comme la fameuse ligne de métro (l'actuelle n°12) qui permit les échanges fréquents entre les artistes des deux Monts ; Nord-Sud comme Matisse fut, selon ses propres dires, le Pôle Nord et Picasso le Pôle Sud ; Nord-Sud comme les allées et venues non plus entres le Mont des Martyrs et celui du Parnasse, mais entre l'île de France et la Méditerranée.
Le catalogue de l'exposition

Certains nordistes tels Derain, Braque, Matisse, Van Dongen ou encore Gen Paul firent le voyage vers l'éblouissement lumineux du Midi. D'autres, comme Pierre Girieud (marseillais), Leprin (né à Cannes, enfance marseillaise), Camoin (marseillais), montèrent à la capitale et sur la Butte ; d'autres encore, comme les Espagnols Picasso, Manolo, Gris ou le Grec Galanis, méditerranéens de naissance,   fixés à Paris, venaient facilement se régénérer à la  lumière méridionale.


Il fallait donc que j'aille voir cette exposition. Mon éditeur me donnant un coup de pouce, je fonçai d'abord vers Arles (j'y reviendrai) puis sur Marseille.
Arrivé par l'autoroute A55 menant directement au Vieux-Port, sortant du parking, sur l'esplanade, choc lumineux et esthétique en voyant cohabiter avec autant de bonheur les trois nouveaux musées (MUCEM, Regards de Provence, Villa Méditerranée) entre la structure bicolore, romano-byzantine de la Major et la pierre dorée du Fort Saint-Jean.  
La Major, cathédrale romano-byzantine

Au premier plan, la Villa Méditerranée, au fond, le MUCEM

La passerelle menant du Fort Saint-jean au MUCEM

L'exposition n'est pas exceptionnelle en ce sens que n'y figure pas de chefs-d'œuvre. Mais elle vaut tout de même un peu d'attention parce qu'elle réunit un certain nombre d'artistes que l'on voit peu : Casamegas, par exemple, l'ami de Picasso qui s'est suicidé par amour à Montmartre, Gargallo, Galanis, Ramon Pichot (qui illustre la couverture du catalogue), un dessin du chroniqueur André Salmon, Paco Durio et quelques autres.
Une série de dessins de Braque

Une série de dessins cubistes de Braque, quelques dessins de Picasso, deux très beaux Vlaminck, des dessins de Derain, l'un de sa période fauve, à Collioure, en 1905, alors qu'il est parti peindre sur le motif avec Matisse, avant la fameuse "Cage aux fauves" du Salon des Indépendants. Les autres sont de 1930.
Derain, Barque à Collioure, 1905
Un dessin et deux toiles de Van Dongen, une jolie maison (celle de Mimi Pinson) et une scène de café, colorée, vive, qui évoque quelque peu, avec haie de hauts-de-forme, un certain tableau de Manet, dans le hall de l'Opéra... 
Van Dongen, Le Café, 1903
Van Dongen n'est pas encore fauve. Vlaminck l'est-il encore, lui, avec ces deux beaux tableaux que sont Bougival et Le Lavoir sous la neige ?

Vlaminck, Bougival (1911)
Camoin, Personnages sur le pont de Martigues (1904)
Le catalogue, qui ne se trouve que sur place, est plutôt bien fait, bien structuré, avec un plan de Montmartre et les adresses des principaux ateliers. Deux ou trois petits détails à revoir pour ceux qui, comme moi, aiment pinailler un peu (citations approximatives, flou dans les notes). Sans être une exposition formidable, elle est tout de même agréable et a le mérite de donner à voir quelques artistes peu connus ou peu montrés.

Gen Paul, Montmartre, la rue Norvins (1924)
Si vous êtes à Marseille ou dans la région, faites un tour...