lundi 19 mai 2014

Derain et la Cité des Fusains



Curieusement, sur le site de la Cité des Fusains, entre l’ancien passage Tourlaque (aujourd’hui rue Steinlein) et la rue Tourlaque, se trouvaient auparavant des baraques en bois qui servaient à faire sécher le linge d’un… lavoir ! Rien à voir pourtant avec le fameux Bateau-Lavoir, autre cité d’artiste dont je parlerais plus tard, (et qui n’avait de lavoir que le surnom). Sur cet emplacement, certains affirment que Renoir et Lautrec ont travaillé.

À l’instar de la plupart des cités d’artistes à Paris (La Ruche, la Cité Falguière ou le phalanstère du 9 rue Campagne-Première, par exemple), celle des Fusains a été construite avec des matériaux d’une Exposition Universelle, en l’occurrence celle de 1889. Les travaux, sous la direction de l’architecte Robert Bourdeau, commencent dix ans plus tard et une première partie est terminée l’année suivante. À l’époque, on entrait non du côté passage (rue Steinlein), dont l’entrée est aujourd’hui plus discrète. 
Sur la gauche serait l'ancien atelier de Derain

Si j’en crois mes sources, l’atelier d’André Derain se trouvait en entrant à droite. Il s’y installe à l’automne 1906, en pleine période fauve, après un séjour à Londres. Il a déjà rencontré Braque, Picasso et André Salmon. Sa présence sur la Butte lui permet de fréquenter plus facilement ses nouveaux amis du Bateau-Lavoir. Son travail impressionne et, s’il a déjà l’admiration de Matisse et de son ami Vlaminck, il compte maintenant aussi celle d’Apollinaire et des peintres du Bateau-Lavoir. Pierre Cabanne pense, et il a sans doute raison, que l’on a sous-estimé l’importance, qu’a pu avoir Derain pour Picasso. Voire même l’influence. Picasso se nourrissait de tout, savait tout saisir et tout transformer. Une amitié naît entre les deux hommes et, si l’on voit parfois le petit Picasso entouré des colosses que sont Braque, Vlaminck et Derain (inspirant à Gertrude Stein l’image de Napoléon entouré de grenadiers), les deux derniers ne feront pas pour autant partie intégrante de « la bande à Picasso ».
Les Fusains, un havre de paix

Derain fut peut-être l’un des initiateurs, avec Matisse, de Picasso à « l’art nègre », visitant avec lui le Musée du Trocadéro, expérience bouleversante pour l’artiste espagnol, déjà travaillé par l’art primitif ibérique. C’est d’ailleurs plutôt l’art océanien qu’africain qu’affectionnait d’abord le Malaguène. Derain, lui a acheté un masque africain (fang) à son ami Vlaminck et se mit à faire collection. 
Le masque Fang de Derain
Notons que cette histoire d’art nègre (qui à l’époque désigne aussi les arts océaniens) est complexe dans ses origines réelles chez les peintres parisiens (on continue à se crêper le chignon pour savoir qui a découvert l’art nègre le premier, une légende tenace attribuant à Vlaminck d’avoir découvert deux statuettes africaines dans un bistro d’Argenteuil et de les avoir obtenues en échange d’une tournée générale…)
Un atelier, entre perchoir et observatoire

Derain fréquente donc Picasso (ce que son ami Matisse voit d’un mauvais œil), mais en maintenant toutefois ses distances. Devant Les Demoiselles d’Avignon, il aurait confié à Kahnweiler, leur galeriste commun, « qu’on trouverait un jour Picasso pendu derrière son grand tableau tellement cette entreprise paraissait désespérée ». Il trace sa route à lui, avec ses angoisses, ses incertitudes… ses éblouissements : « Le Fauvisme a été pour nous l’épreuve du feu… Les couleurs devenaient des cartouches de dynamite. Elles devaient décharger de la lumière. »
Derain, Le Phare de Collioure (1905)

Il travailla (avec toutefois de nombreux voyages dans le Midi) dans cet atelier jusqu’à la fin août 1910. Pour en savoir davantage sur Derain, je vous conseille la lecture du André Derain de Pierre Cabanne (Folio-essais, malheureusement épuisé) et du magnifique ouvrage de Cécile Debray, Le Fauvisme, chez Citadelles & Mazenod (qui lui, vient de paraître) : une somme, LA référence sur la question, fourmillant d’informations et d’analyses (avec, comme toujours chez cet éditeur, une excellente qualité de reproduction : un véritable enchantement pour les yeux et la pensée !)
 


L’actuelle entré principale s’ouvre au 22, rue Tourlaque. Elle date de 1923, marquant la fin des travaux de la deuxième partie de la Cité. Vous pouvez en apprécier la jolie façade et apercevoir, de loin, des bouts de verrière, des fragments d’ateliers… 

Eh, oui, c’est privé. C’est dans cette deuxième partie que s’installèrent les surréalistes. Jan Arp et Sophie Tauber y furent de 1922 à 1926, Miró en 1927 (deux ateliers successifs), Max Ernst de 1925 à 1935 environ. Masson y a travaillé, sans que l’on sache s’il y a vraiment vécu. Tant d’autres encore… dont certains qui passaient voir les amis, bien sûr, ou qui venaient participier à l’éphémère École de Montmartre, crée en 1929 par l’artiste Georges Joubin, arrivé dans la Cité en 1912 pour y vivre jusqu’à la fin de ses jours, en 1983. Y venaient Leprin, Pascin, Asselin ainsi que Bonnard qui venaient en voisin puisqu’installé aux Fusains depuis 1913. Il conserva son atelier jusqu’à sa mort (1947), même s’il y était moins souvent depuis son installation au Cannet.

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