dimanche 2 mars 2014

Incipit Montparnasse, les lieux de légende

Il fallait un élément déclencheur. Amoureux de la ville de Paris depuis toujours, je faisais mienne cette phrase de Montaigne "Paris a mon cœur dès mon enfance. Je ne suis français que par cette grande cité, grande surtout et incomparable en variété, la gloire et la puissance de la France, et l'un des plus nobles ornements du monde", lue sur le piédestal de Montaigne dans un livre sur Paris qu'avait mon frère, illustré de superbes photos en noir et blanc. Je grandissais au loin, au Canada, à Ottawa précisément, et Paris me faisait rêver, m'arrachait au quotidien morne de la capitale canadienne, m'arrachait aux quolibets et au rejet de mes camarades canadiens (qui sont aussi racistes et xénophobes que les enfants des autres pays), m'exilait de mon exil. C'était mon Ithaque, Ulysse sans Calypso...
Feuilletant inlassablement ce livre, je ne rêvais donc que de pouvoir m'installer dans cette ville où tout semblait virer à l'enchantement : les berges de la Seine où une jeune femme lisait un livre de poésie, ce petit vieux qui tenait son chat en laisse avec une ficelle, ce bar, Le Monaco, que j'ai pu identifier lors d'un de mes voyages à Paris adolescent et aujourd'hui disparu (il était à Odéon).
Aujourd'hui, je suis toujours fasciné par la Ville Lumière et par les livres sur elle. L'émotion en feuilletant tel livre de Brassaï, le magicien qui savait enchanter aussi bien les métiers de la nuit, les apaches, les amants furtifs, que les pavés de la la Place Denfert-Rochereau ou la terrasse du Dôme en surplomb.
En arrivant finalement à Paris pour y vivre, j'ai passé un an et demi près de la Place de la Nation, plus précisément dans la rue du Rendez-Vous, près de Picpus. Picpus où Sade et Laclos ont été pensionnaires en même temps (se haïssant cordialement) attendant la guillotine ou la liberté. La guillotine qui fut érigée sur la Place dite alors du Trône Renversé, fit tellement de victimes que l'on dit que l'on dut la déplacer, la terre n'arrivant plus à éponger le sang... Le dimanche, j'allais souvent au Bois de Vincennes, sur les traces du Marquis de Sade, de Diderot, de Mirabeau qui furent enfermés dans le donjon qui s'y dresse toujours. Emotion lors de la visite des cellules... Je rédigeais alors un mémoire de DEA sur Laclos et Casanova, je baignais en plein siècle des Lumières... La semaine, sortant de Jussieu (Université... Denis-Diderot !), je filais Passage de l'Odéon, voir les vestiges de l'imprimerie de Marat, rôder autour du Procope...
Au printemps 1991, je me suis installé dans le XIVe, rue Bénard, quartier Plaisance, métro Pernéty. Je ne savais pas encore que j'allais y vivre plus de dix-huit ans. Aussitôt, je me mis en quête d'ouvrages sur le quartier. Je ne trouvai pas grand-chose de probant. Un livre chez Hervas, où l'on parlait comme d'habitude des catacombes, du lion de Denfert, du Parc Montsouris... Ailleurs, je trouvais quelques passages sur des écrivains dans Les Hauts lieux de la littérature à Paris de Jean-Paul Clébert (dont j'avais adoré le Paris insolite, alors en « Folio »). Mais rien qui fasse la synthèse.
Les années passent, je voyage un peu : à Florence, Rome, Venise ou La Valette, je m'ingénie toujours pour tenter de savoir où vivaient mes écrivains et artistes préférés. Je me souviens avoir préparé une liste d'adresses romaines de Carlo-Emilio Gadda (dont L'Affreux Pastis de la rue des Merles m'avait enchanté, et m'enchante toujours), glanées dans sa correspondance disponible en français, et d'avoir rôdé sous les fenêtres de diverses maisons. Avec, en prime, l'indispensable photo devant le "Palais des Ors", au 219 de la Via Merulana, épicentre de ce baroque roman...
Au 219 de la Via Merulana, Rome

Un jour, j'ai eu, grâce à Dominique Bourgois, la chance de déjeuner avec l'écrivain Enrique Vila-Matas. J'étais ravi ; je considère Vila-Matas comme l'un des meilleurs écrivains d'aujourd'hui (et parmi les plus drôles !). A un moment, parlant de son excellent Paris ne finit jamais, où il évoque notamment la figure légendaire d'Hemingway, il me demande où se trouvait le Dingo Bar. Le Dingo American Bar est le bistro où se sont rencontrés Hemingway et Fitzgerald au printemps 1925. Rencontre littéraire importante, début d'une amitié non dénuée d'ambiguïté et de rivalité, dont Hemingway raconte sa version dans Paris est une fête. J'étais incapable de lui répondre. A Montparnasse, mais où ? A peine rentré, je commençai mon enquête. 10 rue Delambre, en plein cœur du quartier. 

Le Dingo Bar, page extraite de Montparnasse, les lieux de légende

S'il était un peu tard pour répondre à Vila-Matas, au moins ne l'était-il pas trop pour combler cette lacune, le vide éditorial sur Montparnasse. Certes, il y avait eu pléthore d'ouvrages sur Modigliani, Picasso, Man Ray... Une histoire de La Coupole. Un très beau livre illustré de Klüver sur le Montparnasse de Kiki, des Américains et des Scandinaves, notamment. Epuisé. Une histoire de l'âge d'or de Montparnasse par Crespelle, des mémoires de Kiki, d'André Salmon, de John Glassco... Certains épuisés. Les autres ne racontant qu'une partie de l'histoire, ou la vie d'un artiste. Rien de disponible qui fasse la synthèse de ce formidable tropisme qui a fait de Montparnasse le seul quartier dans l'histoire occidentale a avoir été, pendant au moins trois décennies, ni plus ni moins que le Centre du Monde...
Prétentieux ? Arrogant ? Même pas. Vérité énoncée dans sa simplicité même. Du fin fond de la Russie, de Bulgarie, de Roumanie, d'Allemagne, d'Amérique, d'Espagne, d'Italie ou du Japon, entre autres, affluent dès le début du XXe siècle, les peintres, sculpteurs et écrivains vers La Closerie des Lilas et Le Dôme. 
J'habite depuis 2009 dans une petite impasse donnant rue de la Gaîté. Au cœur des choses, en quelque sorte. Je me promène beaucoup et constate que Montparnasse, quartier mythique, indique peu ses lieux de légende. Si les grandes brasseries ont pignon sur le boulevard, si quelques rares anciens ateliers sont connus, si la Ruche demeure inaccessible (artistes au travail !) et que le Musée du Montparnasse (provisoirement fermé) se découvre dans une jolie impasse pavée et fleurie, 
Entrée du Musée du Montparnasse, impasse du Maine. (©Olivier Renault)

tant d'autres sont soit inaccessibles, soit inconnus. On passe souvent sans le savoir devant une maison où a vécu Matisse, un atelier où a travaillé Man Ray ou Picasso, un restaurant aimé d'Apollinaire... 
L'idée m'est alors venue d'écrire un livre qui relaterait cette histoire, non comme une histoire linéaire, mais à partir des lieux pour mieux parler des gens, des œuvres, des mouvements. Des écrivains, des artistes, mais aussi ces personnages de l'ombre que sont certaines concierges, certains flics, certains limonadiers qui ont permis aux artistes de vivre et de s'épanouir, à ce quartier de devenir ce qu'il fut, le Centre du Monde.
François Besse, le directeur des éditions Parigramme, a immédiatement, et avec enthousiasme, approuvé le projet. Le livre Montparnasse, les lieux de légende est sorti il y aura bientôt un an. Depuis, son succès ne se dément pas, prouvant tout simplement qu'il vient combler un certain vide éditorial. Je reçois du courrier, des gens m'appellent chez moi, d'autres viennent me voir à la librairie, d'autres encore me posent des questions lors de promenades ou conférences organisées pour découvrir la dimension historico-culturelle du quartier, ou viennent me confier diverses anecdotes.
C'est pour partager cela et continuer l'aventure que j'ai finalement décidé de tenir ce blog, sorte de carnet de travail sur mes recherches sur Montparnasse, Montmartre, l'école de Paris et quelques autres sujets. Avec quelques jolis projets en cours... mais ce sera pour une autre fois !

Note : dans mes liens, je renvoie à la librairie L'Arbre à Lettres, où je travaille. Vous pouvez aussi vous diriger sur le site Paris Librairie, ou sur tout autre site, en évitant le site d'un grand fournisseur en ligne (dont je tairai le nom), pour des raisons que tous ceux qui aiment la librairie indépendante comprendront aisément. 

1 commentaire:

  1. Bravo, bravo et je dirai même plus encore, bravo pour cette belle initiative !
    L’ergonomie du blog est conviviale, efficace et c’est Bô.
    Quant au contenu, Olivier nous invite une nouvelle fois dans un voyage dans le temps et un Paris méconnu que nous avons plaisir à découvrir.
    Avec son « Montparnasse, les lieux de légendes » Olivier est un magnifique passeur d’histoires, les grandes comme les petites. Ce flâneur des deux monts a certainement plein de nouvelles histoires en réserve et à nous faire partager…
    La suite vite !
    Philippe, Corinne et tous les Albanériennes et Albanériens.

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