Curieusement,
sur le site de la Cité des Fusains, entre l’ancien passage Tourlaque
(aujourd’hui rue Steinlein) et la rue Tourlaque, se trouvaient auparavant des
baraques en bois qui servaient à faire sécher le linge d’un… lavoir ! Rien
à voir pourtant avec le fameux Bateau-Lavoir, autre cité d’artiste dont je
parlerais plus tard, (et qui n’avait de lavoir que le surnom). Sur cet
emplacement, certains affirment que Renoir et Lautrec ont travaillé.
À
l’instar de la plupart des cités d’artistes à Paris (La Ruche, la Cité
Falguière ou le phalanstère du 9 rue Campagne-Première, par exemple), celle des
Fusains a été construite avec des matériaux d’une Exposition Universelle, en
l’occurrence celle de 1889. Les travaux, sous la direction de l’architecte
Robert Bourdeau, commencent dix ans plus tard et une première partie est
terminée l’année suivante. À l’époque, on entrait non du côté passage (rue
Steinlein), dont l’entrée est aujourd’hui plus discrète.
Sur la gauche serait l'ancien atelier de Derain |
Si j’en crois mes
sources, l’atelier d’André Derain se trouvait en entrant à droite. Il s’y
installe à l’automne 1906, en pleine période fauve, après un séjour à Londres.
Il a déjà rencontré Braque, Picasso et André Salmon. Sa présence sur la Butte
lui permet de fréquenter plus facilement ses nouveaux amis du Bateau-Lavoir.
Son travail impressionne et, s’il a déjà l’admiration de Matisse et de son ami
Vlaminck, il compte maintenant aussi celle d’Apollinaire et des peintres du
Bateau-Lavoir. Pierre Cabanne pense, et il a sans doute raison, que l’on a sous-estimé
l’importance, qu’a pu avoir Derain pour Picasso. Voire même l’influence.
Picasso se nourrissait de tout, savait tout saisir et tout transformer. Une
amitié naît entre les deux hommes et, si l’on voit parfois le petit Picasso
entouré des colosses que sont Braque, Vlaminck et Derain (inspirant à Gertrude
Stein l’image de Napoléon entouré de grenadiers), les deux derniers ne feront
pas pour autant partie intégrante de « la bande à Picasso ».
Les Fusains, un havre de paix |
Derain
fut peut-être l’un des initiateurs, avec Matisse, de Picasso à « l’art
nègre », visitant avec lui le Musée du Trocadéro, expérience bouleversante
pour l’artiste espagnol, déjà travaillé par l’art primitif ibérique. C’est
d’ailleurs plutôt l’art océanien qu’africain qu’affectionnait d’abord le
Malaguène. Derain, lui a acheté un masque africain (fang) à son ami Vlaminck et
se mit à faire collection.
Le masque Fang de Derain |
Notons que cette histoire d’art nègre (qui à l’époque désigne aussi les arts océaniens) est complexe dans ses origines réelles chez les peintres parisiens (on continue à se crêper le chignon pour savoir qui a découvert l’art nègre le premier, une légende tenace attribuant à Vlaminck d’avoir découvert deux statuettes africaines dans un bistro d’Argenteuil et de les avoir obtenues en échange d’une tournée générale…)
Un atelier, entre perchoir et observatoire |
Derain
fréquente donc Picasso (ce que son ami Matisse voit d’un mauvais œil), mais en
maintenant toutefois ses distances. Devant Les
Demoiselles d’Avignon, il aurait confié à Kahnweiler, leur galeriste
commun, « qu’on trouverait un jour Picasso pendu derrière son grand
tableau tellement cette entreprise paraissait désespérée ». Il trace sa
route à lui, avec ses angoisses, ses incertitudes… ses éblouissements :
« Le Fauvisme a été pour nous l’épreuve du feu… Les couleurs devenaient
des cartouches de dynamite. Elles devaient décharger de la lumière. »
Derain, Le Phare de Collioure (1905) |
Il
travailla (avec toutefois de nombreux voyages dans le Midi) dans cet atelier
jusqu’à la fin août 1910. Pour en savoir davantage sur Derain, je vous
conseille la lecture du André Derain
de Pierre Cabanne (Folio-essais, malheureusement épuisé) et du magnifique
ouvrage de Cécile Debray, Le Fauvisme,
chez Citadelles & Mazenod (qui lui, vient de paraître) : une somme, LA
référence sur la question, fourmillant d’informations et d’analyses (avec,
comme toujours chez cet éditeur, une excellente qualité de reproduction :
un véritable enchantement pour les yeux et la pensée !)
L’actuelle
entré principale s’ouvre au 22, rue Tourlaque. Elle date de 1923, marquant la
fin des travaux de la deuxième partie de la Cité. Vous pouvez en apprécier la
jolie façade et apercevoir, de loin, des bouts de verrière, des fragments
d’ateliers…
Eh, oui, c’est privé. C’est dans cette deuxième partie que
s’installèrent les surréalistes. Jan Arp et Sophie Tauber y furent de 1922 à
1926, Miró
en 1927 (deux ateliers successifs), Max Ernst de 1925 à 1935 environ. Masson y
a travaillé, sans que l’on sache s’il y a vraiment vécu. Tant d’autres encore…
dont certains qui passaient voir les amis, bien sûr, ou qui venaient
participier à l’éphémère École de
Montmartre, crée en 1929 par l’artiste Georges Joubin, arrivé dans la Cité
en 1912 pour y vivre jusqu’à la fin de ses jours, en 1983. Y venaient Leprin,
Pascin, Asselin ainsi que Bonnard qui venaient en voisin puisqu’installé aux
Fusains depuis 1913. Il conserva son atelier jusqu’à sa mort (1947), même s’il
y était moins souvent depuis son installation au Cannet.
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