Les flâneries ont ceci de bon qu’elles permettent l’esprit
d’escalier, voire même la logique de l’après-coup. Je parlais de la Cité de
Fusains, et voilà que je tombe sur deux choses différentes. La première
concerne Zola. En citant l’autre jour la phrase de Derain sur Picasso, à savoir
qu’on le retrouverait pendu derrière Les Demoiselles d'Avignon, j’ai pensé, comme
tout le monde j’imagine, à L’Œuvre de Zola. Bref rappel : il s’agit
de ce roman dans lequel le peintre Claude Lantier, incompris de ses
contemporains, finira par se pendre devant une gigantesque toile, qui devait
être son chef-d’œuvre.
Notes préparatoires pour L’Œuvre de Zola |
Déjà, je n’aime pas trop Zola (je préfère nettement Balzac). Non pas pour les raisons
sociales, qui me sont sympathiques, mais pour des raisons stylistiques, entre
autres, et une certaine lourdeur. A la lecture de L’Œuvre, j’avais entre autre été dégoûté par sa
façon de mettre symboliquement à mort, à distance, son ami d’enfance Cézanne,
par le biais de Claude Lantier. Bien sûr, on sait que Lantier n’est pas
Cézanne, ni Manet, ni Monet, etc. Lantier est une condensation de diverses
figures, et tant mieux Mais plus qu’un règlement ce compte avec Cézanne (qui a
accusé réception de l’ouvrage avec beaucoup d’élégance), c’est la mise en œuvre
(justement) par Zola de sa propre incapacité à appréhender la nouveauté
véritable ; de démêler ce qui, d’une entreprise radicale, est nihiliste ou
non, est ou n’est pas un échec. De sa peur devant ce surgissement du nouveau. Phénomène
plutôt fréquent, il suffit de regarder un peu l’histoire de l’art et de la
littérature.
Ateliers de la Cité des Fusains |
Il est vrai qu’aujourd’hui, la peur de se
tromper quant au surgissement d’un nouveau Cézanne, Van Gogh ou Modigliani
pousse à accepter plus ou moins n’importe quoi. Pas de tri. Tri qui n’est pas
simple, bien sûr : il faut savoir voir, savoir sentir. « Les
sensations étant le fond de mon affaire, je crois être impénétrable »,
disait Cézanne. Impénétré par Zola, en tout cas : il est bien difficile d’entrer
par effraction dans un système nerveux, dans une finesse sensorielle, dans ce
qui fait la singularité, l’eccéité d’un être. Sa complexion et son principe de
délicatesse, aurait dit Sade.
Et pourtant c’est
possible. Voyez le magnifique roman d’Enrique Vila-Matas, au titre roussélien
d’Impressions de Kassel.
Invité à la
demande de la commissaire de la documenta 13 (2012), le narrateur doit écrire
en public dans un restaurant chinois de la banlieue de Kassel. Perspective peu
réjouissante. Heureusement, si l’on veut (presque) personne n’y vient :
aussi ce promeneur solitaire peut-il errer à loisir dans la ville, s’y perdre
(à deux pas du lieu où les frères Grimm ont écrit… Le Petit Poucet !),
tout comme il accepte de se perdre dans l’art contemporain. Pour l’éprouver, le
sentir. Sans préjugé, puis en faisant le tri. Il en est bouleversé.
Le regard qui traverse l'atelier... Avec la grenouille-vigie, on a envie d'y rester : rêve, travail, musique |
Zola, donc. Ou plutôt Lantier. Nous avons vu la dernière
fois que, sur le site de la Cité des Fusains, se trouvait auparavant un lavoir
et son séchoir. Ce devrait donc être ici que Claude Lantier s’installe,
quittant l’atelier de la rue de Douai pour en investir un autre, plus vaste
« C’était un ancien séchoir de teinturier, une baraque de 15 mètres de
long sur 10 de large, dont les planches et le plâtre laissaient passer tous les
vents du ciel. On lui louait ça 300 francs. »
Ici, donc, que Lantier travaille à sa grande peinture et s’y suicide. Ici qu’habitait et travaillait Derain lorsqu’il a eu cette fameuse phrase pour Picasso… Logique des lieux ?
Avant la Cité des Fusains |
Ici, donc, que Lantier travaille à sa grande peinture et s’y suicide. Ici qu’habitait et travaillait Derain lorsqu’il a eu cette fameuse phrase pour Picasso… Logique des lieux ?
Au Japon? Non, aux Fusains |
Un saut dans le temps: je tombe sur un article de Miró qui concerne les Fusains. En 1927, il quitte Montparnasse. Jusqu'en 1926, il vivait dans l’atelier de la rue
Blomet en voisin de Masson, recevant la visite de nombreux
surréalistes dissidents (Artaud, Desnos, Limbour, Leiris), mais aussi les
Stein et Hemingway (qui lui achète La
Ferme). (Pub : vous pouvez tout cela développé dans mon Montparnasse, les lieux de légende, chez
Parigramme). Dans un article publié dans la revue XXe siècle en 1938, « Je rêve d’un grand atelier », il
écrit : « Je louai un atelier au 22 de la rue Tourlaque, villa des
Fusains, où ont habité Toulouse-Lautrec et André Derain et où Pierre Bonnard a
encore son atelier. À cette époque, il y avait là Paul Eluard, Max Ernst, un
marchand belge de la rue de Seine, Goemans, René Magritte, Arp. Je mis sur la
porte une pancarte que j’avais trouvée dans une boutique : TRAIN PASSANT
SANS ARRET. Ça marchait mieux, mais c’était encore assez dur. Une fois, avec
Arp, nous avons déjeuné de radis au beurre. Dès que ce fut possible, je pris un
plus grand atelier dans la même villa, au rez-de-chaussée, mais je ne le gardai
pas longtemps. »
Buffle, yack, bison ? |
La Cité recèle de petites cachettes. Parfait pour le café, ou l'apéro |